Etat de la situation juridique actuelle
Par Catherine DE BIE
Médiatrice Familiale Avocate au Barreau de LILLE
A l’heure où la première famille homoparentale semble avoir vu le jour {grâce à un Jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS, les enfants de Carla et de Marie-Laure portent désormais le nom de famille de leurs - deux mamans -.} l’on pourrait imaginer que la situation juridique des familles homo parentales est proche de celle des familles hétéro parentales.
En réalité, il n’en est rien, et la question de l’homoparentalité n’est pas clairement tranchée au plan juridique, la Jurisprudence se montre encore suspicieuse à l’encontre des familles homo parentales ou des personnes homosexuelles souhaitant élever leurs enfants.
I – CARLA ET MARIE-LAURE un cas particulier
Le couple de femmes qui a vu reconnaître ses droits vivait ensemble depuis longtemps. Marie-Laure a eu 3 enfants par inséminations artificielles (pratiquées en Belgique, en France elles sont réservées aux couples hétérosexuels.) Carla a, par Jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS adopté les 3 enfants en 2001. Le Juge aux Affaires Familiales de PARIS a accordé le 2/07/04 une délégation d’autorité parentale à Marie-Laure, avec exercice partagée de ladite autorité. Il ne s’agit ni d’une adoption plénière ni d’un exercice conjoint de l’autorité parentale, les deux mères ne sont pas à égalité dans leurs relations avec les enfants, et leur situation est bien distincte de celle d’un couple de concubins élevant ensemble leurs enfants communs.
En effet, l’adoption simple entraîne la perte pour le parent biologique de l’exercice de son autorité parentale, la mère adoptive a ainsi dû, après l’adoption, déléguer son autorité parentale à la mère biologique.
Cet imbroglio juridique comme l’a qualifié Madame DEKEVER-DESFOSSEZ, n’est pas satisfaisant, et risque de donner lieu à des problèmes juridiques et humains particulièrement délicats en cas de conflits entre les deux conjoints.
Cette situation délicate met en lumière l’intérêt pour le médiateur familial d’être informé des droits de ces familles, ainsi que de leurs revendications et des polémiques qu’elles suscitent, et ce notamment au plan juridique. C’est ainsi que par exemple 3 auteurs connus, Tony ANATRELLA Psychanalyste, Antoine BEAUQUEUR, Avocat, et Christophe EOCHE-DUVAL Maître des requêtes au Conseil d’Etat, où, dans le cadre d’un article publié au Juris-classeur « le droit de la famille » en Octobre 2003, soutenaient une thèse selon laquelle le droit international (Convention Européenne des droits de l’Homme – Déclaration des droits de l’enfant 1923 – Convention de la Haye du 29/05/1993) serait très clair et définirait la famille par l’union d’un homme et d’une femme.
Dès lors, si l’un des droits fondamentaux de l’enfant est d’avoir une famille, les Etats se doivent de garantir aux enfants d’être élevés par un homme et une femme. Pour Boris Cyrulniks, Neuro psychologue et Ethnologue, « c’est la différence des rôles pas forcément celles des sexes qui permet à l’enfant de se construire et l’on avait les mêmes craintes au début des adoptions internationales, on disait que les enfants de couleur seraient perturbés. Les enquêtes montrent qu’il n’en est rien » (Revue Psychologie Septembre 2004 p66)
La confrontation de ces divers points de vue et de tout ce qu’ils présupposent quant aux conceptions qu’ont les uns et les autres de la famille, du mariage et de la liberté individuelle, permettra au médiateur familial de prendre du recul et de réfléchir à ces propres représentations (parentales, familiales, etc…) L’objet de cet article est donc de faire un point sur la situation juridique actuelle des familles homo-parentales par rapport aux possibilités de procréation, et d’adoption, ainsi qu’en ce qui concerne les possibilités d’exercice de l’autorité parentale tels que déterminées par la Jurisprudence actuelle. Il est bien évident que le médiateur familial aura plus souvent à connaître de situations où le conflit concerne l’exercice de l’autorité parentale, la résidence des enfants ou le droit de visite et d’hébergement.
I – LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE
Elle est régie en France par la Loi du 29/07/1994 et celle du 6/08/2004 (Code de la Santé Publique).Il s’agit d’un ensemble de pratiques cliniques et biologique permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons, l’insémination artificielle et toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel. (Article 211-41 du Code de la Santé Publique) L’article 211-14-2 réserve exclusivement ces techniques aux couples formés d’un homme et d’une femme pour remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie particulièrement grave.
Ainsi les textes sont très clairs et les couples homosexuels ne peuvent pas bénéficier de la procréation médicalement assistée en France, d’où comme dans le cas de Carla et Marie-Laure, le recours à l’insémination dans un pays étranger comme la Belgique, ou les Pays Bas. On notera ici une première inégalité entre les deux sexes puisque les femmes pourront beaucoup plus facilement avoir recours à la PMA, voir même à un géniteur naturel… Pour les hommes, la situation est bien plus complexe, et ce d’autant plus qu’en France l’Article 16-7 du Code Civil interdit toute convention de mère porteuse.
II – L’ADOPTION
En France coexistent l’adoption plénière et l’adoption simple.
1 – Adoption plénière
L’article 343 du Code Civil dispose que l’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de 28 ans.
L’article 346 ajoute : « Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est deux époux. »
La Loi est particulièrement restrictive, un couple d’homosexuels, même s’il est pacsé, ne peut adopter un enfant, pas plus qu’un couple de concubins hétérosexuels ne le pourrait. L’article 343-1 prévoit en outre que l’adoption plénière peut aussi être demandée par toute personne âgée de plus de 28 ans, le consentement du conjoint étant nécessaire si l’adoptant est marié.
L’adoption plénière casse complètement les liens familiaux d’origine de l’enfant et leur substitue ceux de la famille adoptant.
L’adopté est alors considéré comme étant né de la famille de l’adoptant. Il portera son nom de famille, sa nationalité et aura les mêmes droits dans la succession de l’adoptant qu’un enfant légitime.
2- L’adoption simple
L’adoption simple ne détruit pas les liens familiaux d’origine de l’enfant, mais leur superpose ceux de la famille de l’adoptant.
L’adoptant ayant l’autorité parentale, la famille naturelle perd ses droits d’autorité parentale.
En théorie l’adoption semble être ouverte sans restriction aux homosexuels, la Loi n’exigeant aucune condition particulière autre que relative à l’âge en ce qui concerne l’adoptant.
Ceci est toutefois à nuancer et à mettre en regard de la pratique de l’administration en matière d’agrément à adoption.
L’agrément est en effet obligatoire pour adopter un pupille de l’Etat ou un enfant étranger dans le cadre d’une adoption internationale. De surcroît, même s’il n’est pas obligatoire en cas d’adoption par l’intermédiaire d’un organisme agréé, il est demandé de façon quasi-systématique par lesdits organismes.
Or, la DDASS refuse cet agrément aux homosexuels célibataires, au motif que leur choix de vie est contraire à l’intérêt de l’enfant. Les Tribunaux administratifs confirment ce refus dans une très large majorité de leurs décisions.
Dans les rares cas où ils annulent, les Cours Administratives d’Appel cassent les décisions. Par exemple la Cour Administrative d’Appel de NANCY a cassé une décision du Tribunal Administratif de BESANCON qui accordait à une institutrice célibataire la possibilité d’adopter.
Le motif retenu par la Cour étant « qu’elle vit avec une femme et que l’enfant risquerait de souffrir d’une absence d’image ou de référent paternel. »
Enfin, la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne garantit pas un droit à adoption.
Saisie d’un recours fondé sur la discrimination en raison de l’orientation sexuelle de l’adoptant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé que les autorités françaises ont légitimement et raisonnablement pu considérer que « le droit de pouvoir adopter a trouvé ses limites dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés, nonobstant les aspirations légitimes du requérant, et sans que soit remis en cause ses choix personnels », et que « la différence de traitement litigieuse n’est pas discriminatoire au sens de l’article 14 de la convention ».
En Octobre 2001, la même Cour avait jugé que : « Dans une situation aussi délicate où le droit paraît traverser une phase de transition, il faut laisser une large marge d’appréciation aux autorités de chaque pays, les spécialistes de l’enfant, les psychiatres et les psychologues étant partagés sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels. »
C’est sur la notion de référent masculin et féminin susceptible d’être offert à un enfant adopté que se fondent la plupart des décisions de refus.
En ce qui concerne l’autorité parentale qu’un parent homosexuel souhaite exercer sur son enfant, un grand nombre de freins psychologiques voir même idéologiques pour certains vont être mis en oeuvres par les Juridictions inspirées par cette conception du développement de l’enfant qui ne pourrait se construire que face à un couple parental bisexué.
III – L’AUTORITÉ PARENTALE
L’autorité parentale est définie par l’article 371-1 du Code Civil comme un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Elle appartient aux pères et mères jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger, pour sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement et le respect de sa personne.
L’article 372 du Code Civil prévoit un exercice en commun de l’autorité parentale par les deux parents. Si le couple est marié, l’enfant est automatiquement soumis à l’autorité parentale de son père et de sa mère.
Si le couple n’est pas marié, seul le parent qui l’a reconnu avant son premier anniversaire exerce l’autorité parentale sur l’enfant.
L’article 373-3-2 du Code Civil prévoit lui que la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale.
Depuis 1993, ce n’est qu’exceptionnellement qu’un parent seul peut exercer l’autorité parentale, l’article 373-1 du Code Civil dispose en effet : « si l’intérêt de l’enfant le commande, le Juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents. L’exercice du droit de visite et d’hébergement ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves. »
En ce qui concerne l’exercice de l’autorité parentale, dans son étude « Juge de la famille et homosexualité », parue en Janvier 2002 au Juris classeur Droit de la Famille, et portant sur la Jurisprudence récente des Cour d’Appel en la matière, Madame Anne GOURON MAZEL, Ingénieur de recherche à l’Université de Montpellier, relevait une prédominance de l’attribution conjointe de l’autorité parentale aux deux parents.
Sur 54 Arrêts, seules 8 décisions confiaient l’exercice exclusif de l’autorité parentale au parent hétérosexuel.
Postérieurement à la Loi de 1993, seules 2 décisions ont attribué l’exercice exclusif audit parent hétérosexuel. Il semble donc que la Loi de 1993 ait permis une évolution des mentalités.
Ces décisions qui confient l’exercice en commun sont souvent rendues sans motivation spéciale, d’autres mettent en évidence une vigilance voir une suspicion du Magistrat.
C’est ainsi que la Cour d’Appel de NIMES, dans un Arrêt du 6/01/1999, relève que « le père homosexuel a démontré ses aptitudes pour élever et choyer sa fille » et que « la mère ne peut l’exclure des choix majeurs fait pour l’enfant ». La Cour de MONTPELLIER, dans un Arrêt du 11/01/1997, relève que « rien ne s’oppose à l’attribution conjointe de l’autorité sur l’enfant » dès lors que « le rapprochement père-fille ne donne lieu à aucune gestuelle ni scénario douteux », et que de plus, ce père « porte à sa fille un amour sincère et non dévoyé».
Pour la Cour d’Appel de PARIS (30/06/1998) : « Il n’est pas prouvé par les pièces versées aux débats que l’homosexualité alléguée du père mettrait en danger la sécurité des enfants ».
Quant les Magistrats refusent l’exercice de l’autorité parentale, c’est en relevant :
- Cour d’Appel de RENNES 27/09/1999 : que le père homosexuel qui a fait l’objet de plusieurs traitements psychiatriques se trouve dans une situation pouvant gravement perturber les enfants,
- Cour d’Appel de PARIS 20/05/1996 : que le concubinage homosexuel du père est de nature à perturber gravement l’équilibre psychologique de l’enfant,
- Cour d’Appel de PARIS 16/09/1991 : que le comportement du père homosexuel, coupable de violence envers la mère, a traumatisé ses enfants, qui après son départ du domicile conjugal, ont retrouvé rire et gaieté.
Dans certains cas, la motivation est encore plus mince, Cour d’Appel de BORDEAUX 31/03/1993, le père homosexuel ne prouve pas que son fils serait mieux auprès de lui.
Concernant une mère homosexuelle, la Cour d’Appel de GRENOBLE a quant à elle relevé que la relation homosexuelle entretenue par la mère au domicile conjugal avait entraîné une perturbation psychologique des enfants et un état de détresse morale chez l’un d’eux.
Sur l’ensemble des Arrêts étudiés par Madame GOURON MAZEL, seules deux accordent l’autorité parentale exclusive aux parents homosexuels. La Cour d’appel de PAU a ainsi retenu que : « le père homosexuel vivait en couple stable tandis que l’enfant était beaucoup plus perturbé dans le foyer de la mère, et que ses relations conflictuelles avec le concubin de la mère entretenaient chez l’enfant une souffrance forte et réelle.»
La Cour d’Appel de NIMES (24/09/1992) a quant à elle attribué l’autorité parentale exclusive concernant un enfant de deux ans dont « tant la mère que l’amie de la mère âgé de 20 ans et assistante maternelle s’occupent avec soin » , sans qu’il y ait lieu « de prendre en considération le fait que cette mère recherche un emploi et qu’elle ait quitté son concubin. »
IV – RÉSIDENCE DE L’ENFANT
En ce qui concerne la résidence de l’enfant, Madame GOURON MAZEL a relevé que dans la majorité des cas la résidence habituelle de l’enfant se trouve fixée chez le parent hétérosexuel. Elle précise toutefois qu’il convient de distinguer selon qu’il s’agisse du père ou de la mère.
En effet : « alors que si le père est homosexuel, la mère obtient la résidence 3 fois sur 4, dans le cas inverse d’une mère homosexuelle, la parité dans la solution semble être de mise, le père obtenant la résidence de l’enfant presque aussi souvent que la mère. »
Les motivations retenues par les Arrêts des Cours d’Appel sont diverses :
- Réaction de dégoût des enfants à l’égard d’un père homosexuel.
- Résidence fixée chez la mère bien qu’il ne soit pas prouvé que la sexualité du père mette en danger la sécurité des enfants.
- Enfant confié à la mère, le père homosexuel s’étant exhibé dans les bras d’un travesti, la Cour notant toutefois « qu’aucun des deux parents n’est plus perturbé que l’autre sur le plan psychologique ».
- Enfants confiés au père, la vie des enfants auprès de leur mère risquant de s’inscrire dans un contexte contraire à l’ordre familial et social actuel (Cour d’Appel de NIMES 1992) (Ici le caractère idéologique de la décision est manifeste).
- Résidence fixée chez le père qui vit seul et dont le mode de vie est plus structurant (Cour d’Appel de BORDEAUX 19/12/1995 –
- Résidence fixée chez le père (Cour d’Appel de RENNES 31/10/1990), les enfants supportant mal la nouvelle vie de couple de leur mère, et se trouvant confrontés à des problèmes d’identification, alors qu’au surplus l’exiguïté du logement rend gênante l’intimité de la mère avec sa nouvelle compagne.
- Résidence fixée chez le parent homosexuel (Cour d’Appel de PARIS) : les enfants du couple ne sont ni fragiles ni mal menés, n’ont pas subi de violence et font preuve de maturité et de discernement, le père les ayant bien préparé à l’homosexualité qu’il vit en couple stable.
- Cour d’Appel de NANCY : Enfant confié au père du fait de ses bonnes méthodes éducatives adaptées à la psychologie des enfants. Garçon de 9 ans ayant développé des troubles du comportement lorsqu’il résidait chez sa mère qui adoptait des méthodes pédagogiques très rigides.
Pour confier les enfants à leur mère homosexuelle, les Cours invoquent :
- De bonnes conditions matérielles et éducatives.
- Le besoin de présence maternelle.
- L’adaptation rapide des enfants en bas âge à la vie homosexuelle de leur mère.
- La mère ayant des tendances homosexuelles mais pas de passage à l’acte.
- Dans certains cas particuliers des conditions sont posées par les Magistrats, c’est ainsi que la Cour d’Appel de PARIS a fixé la résidence au foyer de la mère qui offre aux enfants un cadre de vie équilibré favorable à leur épanouissement, mais en excluant formellement toute cohabitation avec une tierce personne.
V- DROIT DE VISITE ET D’HÉBERGEMENT
Enfin, en ce qui concerne le droit de visite et d’hébergement, la Cour d’Appel de METZ dans une décision du 27/06/1995 affirme que le concubinage et l’homosexualité du père ne sont pas des motifs suffisants permettant à eux seuls de priver le père de toute relation affective avec sa fillette, toutefois le droit de visite n’est accordé qu’un week-end par mois au domicile des grands-parents maternels.
La Cour d’Appel de PAU, après avoir posé le principe selon lequel le droit de visite ne peut être refusé que pour des motifs graves, l’homosexualité n’étant en aucune façon susceptible de constituer l’un de ces motifs, suspend cependant purement et simplement le droit de visite qui serait dangereux pour un enfant qui refuse catégoriquement tout lien avec son père. (Arrêt du 19/06/2000)
La Cour d’Appel de RENNES avait elle le 27/09/1989 considéré que les relations homosexuelles du père sont immorales et incompatibles avec l’exercice de l’autorité parentale, à fortiori avec un droit d’hébergement qui se trouve refusé au motif qu’il convient d’éviter aux jeunes enfants (8 et 9 ans) tous risques inutiles en les plaçant dans des situations qui peuvent gravement les perturber.
On constate donc en matière de droit de visite et d’hébergement une relative sévérité des juridictions qui n’octroient aux parents homosexuels qu’un droit de visite ou d’hébergement restreint par opposition au droit de visite habituel (un week-end tous les 15 jours et la moitié des vacances scolaires) qu’obtient généralement le parent ne résidant pas avec l’enfant.
Victimes d’une méfiance particulière, les parents homosexuels se voient fréquemment infliger des conditions très strictes à l’exercice de leur droit de visite et d’hébergement.
C’est ainsi que la Cour d’Appel de PARIS, dans un Arrêt du 15/05/2003, a accordé à un père homosexuel un droit de visite et d’hébergement d’un week-end par mois sur sa fille de 4 ans, étant précisé que si l’hébergement au domicile du couple homosexuel n’était pas à priori de nature à être dangereux pour la petite fille, c’était à la condition que : « le père respecte l’obligation de faire dormir sa fille dans un lit à elle et sans confronter l’enfant à une éventuelle cohabitation homosexuelle de sa part », rapproché d’un Arrêt plus ancien de la Cour d’Appel d’AGEN du 8/07/1987 qui disposait que : « le père devra impérativement exercer son droit de visite et d’hébergement en présence d’un tiers et avec une attitude digne d’un père de famille excluant tout comportement féminin ».
La Cour d’Appel de MONTPELLIER 27/11/97 considérant qu’il n’est pas de l’intérêt de l’enfant d’assister à la vie de famille du couple homosexuel fixe les visites à un mercredi par mois de 10h à 18h.
Dans le cadre d’un conflit opposant deux parents homosexuels ayant eu recours à la procréation médicalement assistée et n’ayant pas vécu ensemble, la Cour d’Appel de BORDEAUX accorde à la mère le bénéfice de la résidence, mais aménage le droit de visite du père en fixant des horaires contraignants de présentation de l’enfant 4 ans à la gare St Jean de la ville, ce père habitant hors de BORDEAUX.
La même Cour avait le 22 Mai 1984 suspendu le droit de visite d’un père qui fréquentait des milieux homosexuels.
La Cour d’Appel de MONTPELLIER autorise quant à elle les visites d’un père homosexuel de manière restreinte et détaillée « trois dimanche par mois, de 14h à 18h et deux mercredi de 12h à 18h, le tout dans des conditions d’extrême vigilance… » (qui doit être vigilant ?)
La Cour d’Appel de NIMES (19/06/1988) : Concernant un père homosexuel qui n’a aucunement démérité, mais d’une enfant perturbée par la découverte d’une homosexualité qu’elle rejette, limite le droit à des rencontres d’une semaine en Février et en Juillet, l’enfant ayant en outre toujours la liberté de ne pas les réaliser.
La Cour d’Appel de PARIS, au sujet d’un enfant pour qui tout contact physique avec son père est insupportable, et qui le considère comme anormal, limite le droit de visite à un samedi par mois. (25/11/1997) La Cour d’Appel de NIMES , pour éviter à l’enfant d’être spectatrice du mode de vie de son père, ce qui ne peut que brouiller le sens des valeurs de la petite fille, limite le droit de visite au Samedi de 9h à 19h. (6/01/1999).
Ce panorama de décisions récentes de Cour d’Appel met en évidence le fait que si à priori le Juge Judiciaire ne conçoit plus forcément l’homosexualité du parent comme constitutive à priori d’un danger pour l’enfant, il existe une tendance manifeste à privilégier le parent hétérosexuel. L’étude de ces décisions nous montre que le Juge va s’appuyer sur un examen concret du dossier et de la situation tant matérielle que psychologique de chacun des parents, à l’aide notamment d’enquêtes sociales ou d’expertises psychologiques.
Rendues par des hommes et des femmes, ces décisions reflètent pour certaines d’entre elles des convictions que le juge entend défendre quand les Arrêts visent des « relations immorales », ou « un mode de vie contraire à l’ordre social ».
On est bien ici dans le domaine de l’idéologique et le médiateur doit en être particulièrement conscient.
On a également pu remarquer, grâce à l’examen de ces Arrêts, que la situation des pères et des mères homosexuels n’est pas identique et que dans le cas où l’on confie l’enfant à son père homosexuel, quelque part, pour le magistrat, la mère avait démérité.
C’est le cas notamment de la mère qui utilisait des méthodes pédagogiques très rigides outre la sévérité du beau-père ou de la mère qui a une activité professionnelle trop importante partagée entre LYON et PARIS. La mère homosexuelle quant à elle, et surtout si les enfants sont jeunes, semble bénéficier de décisions bien plus bienveillantes.
En tout état de cause, l’examen des textes relatifs à la procréation et à l’adoption, ainsi que l’examen de la Jurisprudence en matière d’autorité parentale et de résidence, montre la difficulté pour les homosexuels de créer une famille, voir l’impossibilité, ainsi que les préjugés contre lesquels ils doivent lutter pour pouvoir en cas de rupture avec un conjoint ou une conjointe, un compagnon ou une compagne hétérosexuel maintenir un lien avec leurs enfants.
MÉDIATION FAMILIALE ET HOMOPARENTALITÉ
HOMOPARENTALITÉ ET MÉDIATION FAMILIALE
Anne LAMY - Eric VERDIER - Jocelyne DAHAN
Le médiateur vient tout juste d’être doté d’un Diplôme d’Etat et se pose encore la question des limites de ses compétences, des indications de la médiation familiale…
Par ailleurs, depuis ces dernières années, la question de l’homoparentalité se pose au grand jour, interrogeant la place des médiateurs familiaux, leur compétence.
Au travers de cet article nous avons souhaité interroger deux professionnels le premier, Eric Verdier (E.V.), spécialiste de cette question, et la seconde Jocelyne Dahan (J.D.) ; médiatrice familiale pour recueillir leur point de vue.
Il ne s’agit pas de donner des réponses, mais d’ouvrir le débat, d’aider à la réflexion en recueillant leurs propos.
1. Eric Verdier, En tant que psychologue, comment définiriez-vous l'homoparentalité, et qu’est-ce qui vous semble le plus épanouissant du point de vue de l'enfant ?
J’aurais du mal à la définir car d’une part « l’homoparentalité » n’existe pas plus que « l’hétéroparentalité », d’autre part je considère que ce terme est homophobe.
En effet, les différents contextes qui sont habituellement cités pour désigner cette pseudo-homoparentalité sont exactement symétriques deux à deux à des situations « hétéroparentales » :
L’enfant est issu d’une union hétérosexuelle, et l’un de ses parents mène une double vie homosexuelle, comme dans une situation ou l’un des deux parents a une « liaison hétérosexuelle ».
L’enfant est issu d’une union hétérosexuelle, mais l’un de ses deux parents vit maintenant une relation de couple avec quelqu’un de son sexe, comme dans une famille dite « recomposée ».
L’enfant a été adopté par une personne seule, qui vit en réalité avec une personne de son sexe, et qui a été contrainte de le masquer, - presque - comme un couple hétérosexuel adoptant. L’enfant est issu d’une « relation sans lendemain » entre une femme homosexuelle et un homme, (ou via une insémination « artisanale » avec un homme qui ne reconnaîtra pas l’enfant), comme celles qui « font des bébés toute seules ».
L’enfant a été conçu à l’étranger dans le cadre d’une insémination artificielle avec donneur anonyme (s’il s’agit d’un couple de femmes), ou via une maternité pour autrui (s’il s’agit d’un couple d’hommes), comme couple hétérosexuel stérile effectuant de telles démarches.
L’enfant est né d’un homme et d’une femme homosexuels, sans qu’il n’y ait eu de lien de couple au sens habituel du terme, comme un homme et une femme hétérosexuels ayant conçu un enfant dans une relation d’amitié (« «entre amour et amitié, il n’y a qu’un lit de différence » disait Henri Tachan…).
Ainsi, on peut être parent et hétéro/homo/bi/trans ou quoique soit d’autre, on en reste pas moins un parent. Les situations qui me paraissent les plus épanouissantes pour l’enfant sont à la fois celles qui sont les plus claires et les plus assumées par chacun des parents, mais aussi celle où l’enfant n’est pas pensé comme « objet de satisfaction » d’un-e seul-e parent considérant alors l’autre dans un rôle subalterne.
2. (E.V.) Quelles sont les attentes des familles homoparentales ? Quels sont notamment leurs souhaits en matière de reconnaissance légale du ou des coparents, et du compagnon des coparents, qui n'a pas forcément d'existence légale ?
Il faut distinguer deux situations pour y comprendre quelque chose dans ce foisonnement de revendications émanant de parents vivant leur homosexualité : celles où l’enfant est élevé par un ou deux adultes, et celles ou il y en a au moins trois : Lorsque l’enfant a un seul parent, la revendication fondamentale vise de plein fouet l’homophobie de la société. Si un adulte peut adopter seul, comment se fait-il que des jugements moraux, sexistes ou homophobes, parasitent les prises de décision ?
Lorsque l’enfant a ses deux parents, là aussi sexisme et homophobie avancent main dans la main dans les décisions des tribunaux par exemple, en privilégiant la résidence principale chez celui des deux parents qui refusent la résidence alternée, au lieu de favoriser la place de celui qui la demande et qui est privé d’un droit humain fondamental : celui de pouvoir jouer son rôle de parent auprès de son enfant. L’une des conséquences sur l’enfant peut être un Syndrome d’Aliénation Parentale, d’autant plus que la séparation des parents est précoce dans la vie de l’enfant (voire antérieur à sa conception), et les pères homosexuels doublement sanctionnés.
Mais dans nombre de situations, l’enfant a un seul parent juridique alors qu’en réalité il est élevé également par son conjoint ou sa conjointe. Il s’agit donc d’un « parent de substitution », puisqu’en quelque sorte une place est laissée vacante, et à l’instar du premier jugement récent qui a permis a un couple de femmes d’exercer conjointement l’autorité parentale sur les enfants qu’elles élèvent ensemble, rien ne devrait distinguer sur le plan juridique cette situation de la précédente. Et si deux parents valent mieux qu’un pour un enfant, l’adoption devrait également être étendue au couple de même sexe qui en sont exclus, puisqu’exclus du mariage. L’accès à l’insémination avec donneur ou à la possibilité du recours à une maternité pour autrui (qui est pour l’instant interdite à tou-te-s en France) va dans ce même sens de revendications, dans une transparence sur les origines.
Plus complexes à analyser sont les situations où l’enfant a ses deux parents, et où l’un au moins vit en couple avec une autre personne. Sans se substituer au couple parental qui est alors existant, les conjoint-e-s devraient en quelque sorte être considérés comme des « parents additifs » et devraient pouvoir bénéficier d’une extension des devoirs et droits parentaux, mais également de pouvoir se substituer totalement sur le plan juridique à leur conjoint-e en cas de disparition, et ceci sans nécessiter l’accord de l’autre parent (avec qui préexiste parfois un conflit).
En résumé, respectons le rôle prépondérant des parents d’un enfant dans une équité totale entre eux, permettons à un parent de substitution (quelque soit son sexe) d’endosser pleinement la place de l’un d’eux laissée vacante, et préservons les liens tissés avec des parents additifs (quelque soit leur sexe) dans le temps, sans amalgamer chacun de ces trois registres et dans une parfaite transparence. Le principe de coparentalité permet à la fois de clarifier ces trois registres, mais aussi de penser les formes contemporaines de la parenté de manière plus globale.
3. (E.V.) Quelles sont les forces (mais aussi les limites) de la coparentalité ?
Tout d’abord définissons ce que nous entendons par « coparentalité » : il s’agit d’une équité parentale dans les droits et les devoirs, mais aussi dans l’éducation au quotidien, entre le père et la mère d’un enfant, ou entre son seul parent reconnu et un parent de substitution, quelque soit leur sexe. Le concept de coparentalité est anti-sexiste (les pères et les mères sont jugés sur un pied d’égalité quant aux besoins d’un enfant) mais également anti-homophobe (l’orientation sexuelle n’a rien a voir avec les compétences parentales).
Il nomme d’autre part la séparation entre le plan de la conjugalité (horizontal) de celui de la parentalité (vertical). Ainsi, s’il existe une opposition porteuse de sens dans le fameux intérêt de l’enfant, c’est bien celle de toute-puissance monoparentale (position psychique qui n’incrimine bien entendu nullement les « monoparents » de fait, notamment lorsque la vie les a contraint-e-s à élever seul un enfant) vis-à-vis de celle de véritable partage parental, sous le primat de l’équité et non de la domination d’un parent sur l’autre, et par conséquence de l’aliénation de l’enfant.
Mais partage ne signifie pas dilution, et par exemple lorsqu’un flou artistique entoure le rôle paternel (le situant du côté du père d’un point de vue juridique sans qu’il puisse exercer son autorité parentale, mais le situant temporellement, et affectivement pour la mère, du côté de son ou sa compagne qui n’a aucune reconnaissance juridique), la mère reste bien la seule à exercer son pouvoir sur l’enfant.
Ainsi, si l’enfant est conçu dans un contexte où deux foyers préexistent de part et d’autre, et si bien entendu la proximité géographique et affective est une nécessité, la signature d’un engagement mutuel n’aura aucune valeur tant que la certitude d’une équité parfaite entre le père et la mère de l’enfant ne sera pas devenu une réalité dans les tribunaux.
Car prévenir, c’est anticiper le pire, et guérir, c’est aussi éviter la récidive !
4. (E.V.) Les « homo parents » ont-ils des craintes ou des interrogations à propos de leur enfant ? Redoutent-ils qu'il soit "montré du doigt", comme ont pu l'être à une époque les enfants de divorcés ou ceux qui vivaient seuls avec un seul parent ?
Les dangers ne sont jamais là où on le croit. J’ai en mémoire les propos d’une jeune femme qui avait élevé avec sa compagne la fille de celle-ci, conçue dans le cadre d’une « relation sans lendemain », et dans une totale ignorance quant à l’identité du père. Cette femme souhaitait avoir à son tour un enfant, mais elle était formelle sur le fait qu’elle voulait lui donner un père, qui puisse incarner véritablement son rôle auprès de l’enfant, et ce dès le départ.
D’autres femmes présentes ce soir-là et engagées quant à elles dans un projet d’insémination avec donneur anonyme en Belgique lui ont demandé pourquoi elle était aussi sûre d’elle. Elle a répondu que la fille de son amie, alors âgée de quinze ans, ne leur avait jamais reproché d’être élevée par deux femmes qu’elle aimait autant l’une que l’autre (ce qui lui avait permis de « comprendre plus tôt que d’autres qui étaient celles et ceux qui valaient vraiment le coup, pour ne pas perdre de temps avec les cons »).
En revanche, l’adolescente disait ne jamais pardonner à sa mère de l’avoir conçue délibérément sans jamais pouvoir connaître l’identité de son père. Ainsi, à l’ère de « l’enfant-roi », c’est bien la toute-puissance d’un seule parent qui est la plus destructrice, niant le besoin de tout enfant d’accéder un jour à ses origines, ou bien disqualifiant la place de l’autre parent en s’appropriant la résidence principale de l’enfant, ou encore profitant de la vacance de la loi pour anéantir toute possibilité de relation avec un parent de substitution ou un parent additif suite à une séparation conjugale.
En d’autres termes, il est beaucoup plus clair et équilibrant pour un enfant d’être élevé par un couple de femmes où la mère respecte sa compagne comme un parent de substitution et avec accès aux origines paternelles, que par une mère qui par conformité sociale a donné un père à son enfant, mais qu’elle considère néanmoins comme un simple donneur de sperme, disqualifié à la moindre occasion au profit de sa compagne. Certes l’homosexualité n’a pas plus à voir que l’hétérosexualité avec la peur, le rejet, le mépris de l’autre sexe ; mais elle n’en est pas exempte pour autant !
6. (E.V.) Lorsque le conflit existe, et cela peut aussi être le cas, qu’attendez vous de la médiation familiale ? Comment peut elle répondre à vos attentes de parents ?
Tant que les magistrats n’auront pas compris :
- l’ampleur de l’enjeu (disqualification du rôle paternel dans la majorité des cas, mais parfois aussi de celui de la mère, amplifié s’il n’y a pas eu de relation amoureuse entre les parents),
- la confusion à l’œuvre tant qu’on éclaircit pas les différents registres « emboîtés » de la parentalité (primauté aux parents, transfert de ce rôle le cas échéant à un parent de substitution quelque soit son sexe, extension à celui de parents additifs prenant en compte les relations de couple de chaque parent),
- et surtout l’extraordinaire méconnaissance des besoins d’un enfant, parasités par des préjugés sexistes et homophobes quant à l’attribution de la résidence principale de l’enfant (statistiquement arrivent en tête les mères hétérosexuelles, puis les pères hétérosexuels, les mères homosexuelles, et enfin les pères homosexuels ; au niveau des parents non reconnus, forcément relégués en queue de peloton, les mères de substitution sont juste devant les pères de substitution qui ferment la marche devant toute sorte de parents additifs triplement ignorés…), les médiateurs familiaux devront avant tout permettre à ces parents et aux tiers qui les entourent d’y comprendre quelque chose. Par contre lorsque le socle coparental est reconnu et valorisé fermement par les magistrats, le rôle des médiateurs me semble être très proche de ce qui les anime dans toute situation parentale équitable, à savoir permettre de transformer la violence en conflit et le conflit en paroles, en décisions et en actes de vie pour la construction psychosociale de l’enfant.
Mais ils ont également un rôle très important à jouer dans les situations d’aliénation parentale, en aidant à les nommer comme telles, et à la fois pour permettre au parent aliénant de mesurer l’impact de sa manipulation sur l’enfant, mais aussi au parent aliéné de sortir de l’humiliation et du désespoir, en retrouvant le chemin qui lui permet d’accéder à la confiance de son enfant.
Le niveau d’entente minimal doit être un objectif recherché en permanence en médiation sans jamais remettre en question le principe fondateur de la résidence alternée, et non une condition nécessaire qui exposerait le parent aliéné à des tentatives de sabotage de la part du parent aliénant en vue d’empêcher la résidence alternée.
7. Pour vous, Jocelyne DAHAN, comment d’après vous les médiateurs familiaux appréhendent-ils ces nouvelles formes familiales ?
En amont, j’aimerai revenir sur cette question qui se décompose en deux parties : la première concerne les modèles familiaux, la seconde celle de l’appréhension par les médiateurs familiaux.
Concernant le premier point, il est vrai que la sociologie de la famille, mais aussi la psychologie, le travail social ont défini des catégories pour repérer les Modèles familiaux. Si ces repères ont eu du sens, un sens lors de leur élaboration il serait bon de les resituer, aujourd’hui, en regard de la réalité et de l’évolution de notre société.
Ainsi, les qualificatifs ne manquent pas : famille nucléaire, monoparentale, recomposée, adoptive, etc… mais ces catégories en déterminant un cadre enferment les différents acteurs qui les composent et peuvent avoir pour effet une stigmatisation. Nous savons qu’un groupe familial peut traverser ces différents modèles au cours de son existence et nous pouvons nous interroger sur la nécessité d’une telle classification, une stigmatisation est un jugement, jugement de valeur dont les effets peuvent être discriminatoires.
Aujourd’hui la famille se définit de façon transversale et non plus verticale (I. Théry « Couple et Filiation » Dunod 1997), le dénominateur commun étant l’enfant, le concept de famille se repère à partir de l’enfant, de la filiation et des relations significatives pour l’enfant. Entend on fréquemment un enfant définir sa famille en regard de ces classifications ?
Le modèle, comme sa définition le pose, est une case dans laquelle s’inscrivent des individus qui se reconnaissent par des items communs et cela est un paradoxe avec l’idée même de la médiation. Commet accompagner une famille dans sa demande unique et toujours singulière si le premier regard du médiateur familial est de la positionner dans l’une de ces cases ?
La question de « l’homoparentalité » n’est pas à isoler d’autres fonctionnements familiaux, le postulat de base n’étant pas l’orientation sexuelle du ou des parents et le médiateur se doit d’appréhender les demandes des familles quelque soit l’état de l’union, la famille étant «entendue dans sa diversité et dans son évolution.» ( Définition du Conseil National de la Médiation Familiale 2003 » mais d’accueillir cette demande sans jugement, dans le respect des différences.
Pour répondre à la seconde partie de la question je dirai que le médiateur se doit de ne pas porter de jugement, de ne pas être englué par ses propres modèles afin de pouvoir agir dans cette compétence spécifique, qui est la sienne, l’impartialité, ou plus exactement la « multi partialité » (J. Salzer).
8. (J.D.) Que font les médiateurs familiaux de leurs représentations familiales et de leurs propres valeurs ?
Le médiateur familial comme tout professionnel est avant tout une femme, un homme issu lui-même d’une histoire familiale, d’un héritage familial. Si aujourd’hui, sa formation est définie pour autant la question de la nécessité d’un travail personnel ne peut toujours pas être posée car bien entendu l’obligation ne saurait être pertinente dans ce contexte, cependant le fait même de s’interroger sur les représentations du médiateur familial relance le débat.
Comment connaître et repérer ses propres valeurs, celles véhiculées par le médiateur et celles qu’il projette ? La supervision, à la différence de l’analyse de la pratique, permet ce repérage, cette mise à distance et renforce le médiateur dans l’exercice de son métier en lui créant un filet de protection.
Il est fréquent d’interroger les médiateurs sur les limites de la médiation, mais ne faut il pas, auparavant, interroger les limites du médiateur ? Reconnaître ses limites c’est garantir une qualité de travail, d’accueil des familles. Ainsi certains auront plus de difficultés avec des problématiques telles que l’addiction, la violence domestique, alors que pour d’autres la question de la résidence alternée aura les mêmes effets.
Nos représentations guident, de façon inconsciente notre savoir faire, interférant sur le réel. Les reconnaître c’est permettre au médiateur d’accéder à une plus grande sécurité, le médiateur doit pouvoir repérer ses limites et accepter de ne pas pouvoir intervenir dans toutes les situations plutôt que de s’y plonger au risque de se perdre dans les méandres du subjectif.
Ces projections personnelles peuvent brouiller l’intervention du médiateur, ainsi certains ne pourront se départir d’interrogations multiples et la question de l’homosexualité fait partie des ce lot. Peu, sauf erreur de ma part, peu de programmes de formation comportent une partie relative à la sexualité et laissent les médiateurs familiaux dans l’embarras s’interrogeant sur les conséquences de l’homosexualité, notamment, sur la construction identitaire des enfants. Séparant la fonction parentale de toute fonction de couple mettant à distance la sexualité, l’excluant. Bien entendu il n’est pas dans les fonctions du médiateur de traiter de ces questions mais comment ne pas prendre en compte cet aspect du fonctionnement conjugal ?
Mais aux projections du médiateur viennent s’entremêler celles des personnes qui s’interrogent : « Que peut penser ce médiateur de mon homosexualité ? », cet « entremélâge » d’inconscient à inconscient rend parfois plus difficile les premiers entretiens, mais face à un médiateur contenant, sécurisant les tensions s’apaisent et le travail suit son cours.
C’est bien la spécificité de la posture du médiateur qui facilite la reprise de communication en veillant à l’équilibre des pouvoirs entre les personnes et à ce qu’elles puissent par elles-mêmes, progressivement, élaborer un mode organisationnel qui prend en compte les besoins de chacun.
Mieux vaut un médiateur familial qui peut, qui ose dire ses limites qu’un médiateur familial qui entre dans cet espace avec des schémas pré-établis. La limite se pose là, elle est avant tout celle du professionnel et les principes déontologiques qui régissent ce métier l’énoncent : « Afin d’assurer le respect du droit des personnes, le processus de médiation doit impérativement présenter un caractère volontaire, confidentiel, et librement consenti. Le médiateur familial contribue à créer un espace relationnel d’écoute et de dialogue à l’abri de toute forme de contrainte physique ou morale ».
Pour répondre à votre question je répondrai à tout médiateur : « N’acceptez pas une situation qui produit sur vous de l’insécurité, c’est une garantie qui est due à toute famille qui sollicite notre intervention ». Le repérage des représentations est la mise à distance d’un carcan qui entrave le bon déroulement de la médiation.
Le médiateur n’a pas de pouvoir sur la décision des personnes, mais il a le pouvoir de la sécurité du cadre qu’il propose.
La question de l’homoparentalité est récente dans le débat, dans les médias, le mariage homosexuel, le droit à la parentalité animent les débats, mais en réalité ses effets de presse masquent la réalité : celle du questionnement du « droit de l’accès à la parentalité ». Trop de bruit produit un effet de focalisation, mais les demandes des familles dans nos bureaux ne sont elles pas toutes identiques ? Celles de trouver ou de retrouver un mode de communication constructif pour permettre à l’enfant de se construire dans une constellation familiale au sein de laquelle il s’inscrit sans discrimination.
En conclusion la question de l’homoparentalité n’est pas à isoler de la parentalité en général, la question demeure celle de la place d’un enfant dans sa famille et de la répartition des fonctions basées sur la responsabilité des personnes et de la co-parentalité.
Mariage homo et parentalité ?
Mariage de deux hommes à Bègles le 5 juin 2004 validé par le Maire Noël Mamère.
Sans revenir sur les nombreuses interventions publiques quant à la pertinence de cette démarche, le débat et les réactions que cet évènement a suscité a le mérite de révéler la formidable hypocrisie qui entoure les prises de positions antérieures sur le sujet, mais également les confusions et les amalgames qui étayent les positions actuelles. Encore une fois, si ce débat nous touche tant c’est qu’il met en évidence que conjugalité et parentalité ne peuvent aujourd’hui être pensées clairement que si on les situe dans des champs différents : celui du désir qui me relie (ou pas) à un autre adulte quelque soit son sexe, et celui de mon désir d’enfant qui me relie à un autre (que je désire ou pas) de l’autre sexe. Mélanger les deux, et continuer à faire croire qu’ils doivent nécessairement être confondus, ou que le second est assujetti au premier, tend à sacraliser l’institution du mariage, et à vulnérabiliser d’autant plus ceux et celles qui en sont exclus de fait (les homosexuel-le-s) et à culpabiliser les nombreux déçu-e-s, ainsi que ceux et celles qui s’y sont soumis plus qu’ils-elles ne l’ont véritablement choisi.
De la même manière, dire qu’un enfant est issu du désir de ses parents, sans préciser de quel désir on parle, c’est faire croire que le désir qui concerne la sexualité adulte est premier, et quelque part encore fondateur dans nos croyances d’un désir conjoint d’enfant. Car si le père ou la mère font tiers vis-à-vis de la tentation captatrice de l’autre parent, l’enfant fait tiers, de par son existence même, face au désir parental. Il n’a pas fondamentalement besoin de savoir qu’il est issu d’un désir amoureux, même s’il souffre parfois du manque d’amour qu’il peut ressentir entre eux, mais d’un désir conjoint des deux. Si ce n’est pas le cas, on voit avec quelle obstination (c’est flagrant dans la quête des origines) l’enfant va, en grandissant, chercher à savoir s’il-elle est désiré-e par le parent dont l’amour à son égard lui paraît incertain.
Ainsi, s’il est clair que quelle que soit les situations conjugales, les droits des couples et de chaque individu dans le couple doivent être dans une totale égalité, il nous paraît tout aussi clair que la question de la parentalité doit en être extraite (qu’il s’agisse du mariage ou du pacs), pour être repensée autour de la notion de coparentalité telle que nous la définissons. Ajoutons que, du point de vue de l’enfant, il est toujours préférable de ne pas le laisser découvrir seul un non-dit que la loi aurait cautionnée, et nous sommes solidaires d’une des propositions de l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (nous sommes en désaccord sur d’autres) : remplacer le livret de famille par un livret de l’enfant, qui serait sa propriété et le suivrait tout au long de sa vie, où seraient mentionnés spécifiquement qui sont ses parents biologiques, qui s’est engagé à être parent juridiquement, et qui se comporte comme un parent à son égard.
(la jurisprudence a changée depuis la rédaction de cet article mais il nous semblait important de le publier tout de même afin de voir l'évolution de la situation)
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